Je regarde les crêtes blanches et le son qui s’en suit. Je sais que ça souffle là, dans mon dos et ça rassure, les genoux près du menton. L’odeur du sel, de la garrigue, l’odeur qu’on oublie et que l’on redécouvre sans cesse comme les battements de cœurs, la peur qu’ils s’arrêtent. Le ciel est rouge et rose. Et je sais qu’il faut rentrer, manger ce plat préparé alors que les cigales sonnent comme les cloches. Eté assommé, été chronique ; comme si les maladies étaient aussi simple à appréhender. Puis l’odeur de la javel sur le sol, des tommettes que l’on éclate, des tomates à la provençale dont l’huile d’olive coule encore comme dans ma mémoire. Je sais que je veux pleurer parce que je me retrouve, cœur qui bat sur cette plage de galets, sur cette plage inconfortable. Je repense à la rade sans fin de carro, de presqu’îles en presqu’îles : il faudra bien rejoindre le trou de verdure, l’humidité des soirées qui pourraient pourtant être chaudes. Qu’il faudra remettre des pantalons sur mes jambes d’adolescent. Je la sens qui s’approche près de moi, je sens sa main sur mon épaule : et puis quoi ? Qu’attendre de plus ? Je lève la tête et en contreplongée – en contrejour – elle me fait penser aux persiennes agréables, aux mots que l’on se dit alors que l’on a rejeté tous les draps aux pieds du lit et que l’on laisse planer la musique. Des vents ascendants, des images, des redécouvertes, ses mains dans mes cheveux. J’épargne à tous mes étés les livres d’or, les rivages tourmentés et les belligérances courtoises, mais pour le reste, je ne fais que suivre des épisodes, relier des points qui forment ma constellation chimique : demain le train, constellation suivante. Sa main qui glisse sur ma nuque, elle en robe de lin blanc, on devine les couleurs vives de son maillot deux pièces, là, dessous. Et je veux plonger ma tête dans sa poitrine, gosse toujours gosse malgré la route sinueuse et les yeux bâclés par la réverbération. Il faudra pourtant partir demain, il faudra pourtant dire non à tout ça, rentrer dans la verdure alors qu’ici même les couleurs sont arides, les paysages plombés ont tous cette tendance au monochrome contrasté. Et le bleu du ciel, on pourra en parler combien de temps en regardant dans tous les rétroviseurs possibles. Je me suis construit un point d’origine.
Je crois que je me lève et j’ai chaud, sur ma tempe il y a le sel de ma transpiration, sur mes lèvres le sel de la mer. Je traine les pieds, elle me prend le bras gauche, s’accroche à moi. Je voudrais arroser le rivage : qu’il pleuve sur ces galets gris et stagnants. Enlever le sel. Revenir sur moi-même, d’origines en origines. Je veux trainer encore, mais c’est moi que l’on traine. Les côtes sont alors montées adroitement, je m’étais pourtant réfugié au milieu d’une crique que je jugeais paradis. Je m’étais réfugié mais rien n’y a fait. J’ai laissé tomber le temps, laissé le vent me distraire. Je pense aux persiennes, je veux qu’elle reste, elle me sourit, oui, elle restera ce soir. Alors je tends les bras au vent, je veux m’offrir, mais ici rien n’est fantastique, alors je ne m’asperge pas dans le vide. Je reste consistant, juste poussé par le mistral triste, chargé des cendres de l’été. Quand elle me regarde, je sais qu’elle me trouve beau, je veux juste pleurer mais je me retiens tout comme elle, et ma main sur sa joue, c’est la seule chose que je sais faire ici, dans ce soleil qui se couche et arrose la journée trop longue. Ca traine des pieds dans les rues en rentrant, ça remonte la rue, traverse en travers. Ca cherche les passages secrets vers un autre âge où tout se passera bien, je hausse les épaules.
Le portail rouillé fait ce bruit de l’enfance, qui réveille les consciences, la table est déjà mise et le poisson brille dans le plat immense, avant d’être préparé, mijoté. Le regard de mon père : il faut que je me libère de tout ça. Je ne veux pas pleurer, je ne veux pas partir, je veux. Pour la première fois je veux. Et je mange dans la chair maigre mais complexe et élastique du fiélas, enlève les arrêtes unes à unes de ma bouche. La gorge nouée de tout ça, de ce plat trop bon, de ce temps trop chaud, de ces univers trop vites brisées et le verre tombe par terre et se casse, il me sourit, il me dit que ça va aller. Et l’on n’a rien d’autre à attendre de son père. Je regarde les flaques du fond du plat : la sauce rouge qui tâche, la sauce rouge qui montre son sentiment d’appartenance à un banquet bien plus grand mais que l’on m’épargne. Et les rasades de vin blanc par-dessus, pour se noyer comme on respire. Il sourit, blague un peu sur nous, sur la vie. Louise est étrangement vive, drôle, souriante, étrangement comme elle me tord le ventre de passion. Je ne veux pas partir même si revenir semble une évidence. Il ne veut sans doute pas que je parte non plus, du moins, c’est ce que je devine. Un large sourire, mon cœur qui ne parle plus. J’ai fait taire tout ça, et lorsque l’on allume la clope après le dessert on se sent revivre. La tête un peu ailleurs, ça rigole, écoute un album de Neil Young en toile de fond, ça se réchauffe comme ça peut avec des musiques concrètes de vies. The needle and the damage done, passée en boucle ensuite, qui me mène jusqu’au lit. Moi je pense aux vagues, j’aimerais qu’elles se concrétisent. Je pense aux crêtes blanches, au temps passé, et aux avenirs que l’on se construit dans les lumières pénombres ; dans les rondes glauques mais complètes. Je veux une marée immense jusqu’à chez moi, là-bas. Et surtout quand le ventre est vide, que le cœur est plein, que l’on est en puissance.
Je sens son corps, toujours aussi près du mien, et je pense aux vagues que l’on aborde tambour battant. Je pense au ciel qui devient la mer, je pense à l’horizon. Et peut-être qu’il faudrait que j’arrête de rêver, que je passe ma main sur ses seins comme elle le réclame, que je passe ma main dans sa culotte et que j’y frotte mes doigts, qu’elle murmure enfin au lieu d’être ce silence qui bruite d’angoisse, de mots d’amours que l’on retient et de demandes que je ne peux pas entendre. Elle me regarde et ses yeux sont l’aurore, ses yeux sont immenses et bleus. Et moi c’est ça que j’attendais, des taches de rousseur ensuite, je suis devenu plus grand, ici, au milieu des vagues. Elle mord mon cou et ça va, je sais que ça va, encore un peu, jusqu’à la course pour la verdure, ça va un peu alors que le tonnerre gronde en moi, ce soir il pleuvra. Et les persiennes persistent et nous regardent, l’agonie, qu’est-ce que l’agonie ? Les mélodies qui s’embrouillent et mon cœur qui s’emballe. Je pense à la mer et à la garrigue sèche, l’envie que ça brûle autre part que là sous mes doigts. Même si c’est satisfaisant, mais si je me satisfais de cet érotisme simple alors que ses mains m’empirisent, m’agrippent et me transportent, là, loin dans la douleur de nos lèvres de sel, dans la douleur des douches ensuite. Dans la douleur du ridicule spontané. Sombre intimité et son râle et mon râle. C’est ainsi que l’on s’accorde ? Que l’on décroche aussi ensuite. Quand je suis en elle, je vois les étoiles, je vois loin devant moi, je vois les étoiles et ses yeux qui brillent par-delà. Je pense aux vagues, à la mer, elle nous recouvre enfin. La marée monte, et le train s’ébranle après le sifflet parce que l’on pleure, parce que l’on entend encore le bruit du coffre de la voiture qui se referme comme un couperet, parce qu’on jouit toujours les veilles de grands départs désespérants. Parce que l’on grandit de ces soleils de plombs et que l’on avance toujours dans des univers marins et collants. Grandir ça s’apprend, moi j’ai été amoureux pour cela.