C'est un morceau de rap à l'ancienne pour draguer le moment, le longer en bougeant la tête. Peut-être une capuche sur la tronche pour rentrer un peu plus vif dans les coeurs des problèmes : faudrait que j'arrête de me fasciner pour chaque personne que je rencontre, parce que, dans l'idée c'est épuisant d'être amoureux d'une terre qui en a marre de tourner. Blesser en aimant, aimant blessé alors que je reste scotché au banc en attendant que la rumeur de la ville se calme comme mon coeur qui s'emballe. Je repense aux risques pris, aux mots écrits. A la vie qui s'élargie comme ce poumon quand j'avale le vent.
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Les vagues s’éclatent sur les rochers. Brume blanche, comme aux coins des lèvres les émotions qui collent, pâteuses. C’est le bout du monde et la seule pluie que l’on peut attendre ici : des embruns dérisoires. Le détour modique que je n’ai pas voulu me permettre m’a fait m’écorcher les jambes sur les rochers acérés, j’ai besoin de croire que la mer ici est une aventure alors que mes pieds glissent à tout moment sur la terre sèche et fumeuse. Sur cette pente calcaire, j’ai peur de tomber et me ressaisis sans cesse. J’arrive enfin, les yeux irrités, à la crique où je sais que je serai seul. Lorsque je lève la tête, je vois ce grillage que j’ai plié afin de me faufiler dessous. Je voulais croire que je n’étais pas emprisonné, je voulais voir si l’eau était meilleure, là, dans cet espace semble-t-il réservé. Je me retourne, à nouveau, je ne veux pas savoir comment je vais remonter, ce sera sans doute une nouvelle épreuve. J’essaie de trouver une assise confortable sur les galets, c’est peine perdu : j’abandonne là mon t-shirt collant de transpiration suite à la descente. J’enlève mes chaussures qui s’imprègnent du sang de l’estafilade sur mon tibia gauche. Il est temps de mettre les pieds dans l’eau, de voir un peu mieux, de me baigner.
L’eau claire et transparente est fraiche dans cette chaleur palpable et la sueur sur mon front semble, alors, rentrer en moi dans un cheminement inverse, moment de replis. Quand le sel attaque ma jambe ouverte je frissonne, puis je me laisse emporter. Premier bain dans cette mer que je regarde de travers depuis trois jours, il a bien fallu se décider, arrêter d’être un gosse qui a peur des eaux trop profondes.
Pendu à la branche de cet arbre à bout de bras, je me demande quand est-ce qu’elle va rompre sous mon poids, ça semble tenir, même quand je l’éprouve de mon poids en me tractant dessus et en retombant les mains agrippées à l’écorce, alors je me lâche, finalement, de moi-même, et en tombant dans le lac je fais un grand bruit inutile. Je touche le fond, et remonte en riant. Mon père me regarde de la rive, il a un livre dans les mains, mais il est incapable de se concentrer sur une seule ligne avec tout le tapage que je fais. C’est la fin d’après-midi, il a fait chaud, très chaud ces derniers jours. Le soir arrive vite, et je voudrais retenir ce moment de lueur jaune dorée, orange, dans laquelle la scène est figée. Je nage au centre du lac, en espérant ne jamais pouvoir revenir et rester là au milieu de l’eau vaseuse qui a un goût étrange de vie lorsqu’on boit la tasse. Eau-de-vie, c’est peut-être comme ça qu’il faudrait l’appeler : plus tard je lirai les Nuits Rhénanes d’Apollinaire avec cette impression de revoir ce jour, autrement. Mon père crie « ne t’éloigne pas trop du bord, bonhomme ». Moi je lui tire la langue, il a qu’à venir me chercher, il dodeline de la tête en souriant, alors que je fais des sous l’eau, que j’ouvre les yeux mais ne vois rien au fond, strictement rien. Il finit par se lever : « allez, c’est l’heure de rentrer, ta mère nous attend – j’veux pas rentrer ! – t’as pas le choix bonhomme, sinon tu vas aller direct au lit, t’auras même pas d’histoire ce soir… -- M’en fiche ! – Bon, je te laisse là alors, moi j’ai faim. » Il fait mine de partir, et se cache derrière un arbre sans doute, mais moi je suis trop jeune, et je veux pas qu’il parte, je veux pas qu’il m’abandonne, qu’il me laisse seul : alors peut-être que je panique, que je crie à mon père de revenir, parce qu’elle est pas drôle sa blague, c’est vrai quoi, elle est vraiment pas drôle cette foutue blague que l’on fait aux enfants pour qu’ils se décident ; et le soleil s’est couché il me semble, parce que j’ai l’impression d’être seul au milieu du noir, au milieu de cette marée noire, et j’ai peur, presque submergé quand j’entends la voix de mon père au loin. « Qu’est-ce que tu fiches, je t’attends ». Je souris, je nage vers la rive, il est temps de rentrer, mon t-shirt colle à ma peau trempée et mes sandales de cuir font un bruit étrange quand je marche avec, maintenant. Rafraichi enfin, frissonnant même. Mon père prend ma main sur le retour parce que mes pieds glissent dans mes chaussures et que nous sommes en retard. J’aimerais trainer encore. La lueur du soleil couchant dans la clairière donne une impression d’incendie vivifiant. De l’eau, toujours de l’eau : pour s’y noyer, s’y régénérer, se sentir vibrer. De l’eau jusqu’en haut de la tête, c’est ce que je me dis dans cette mer, cette eau nouvelle bien plus limpide.
Ca fait une heure, ou deux peut-être que je suis là, à me baigner, laisser la peau me brûler une fois sorti de l’eau, et replonger pour goûter sans cesse cette sensation de frisson. Même dans les étés les plus terribles, je n’ai jamais ressenti cette chaleur sèche, qui ne s’humidifie jamais quand l’heure du coucher de soleil sonne. Est-ce que le soleil se couche ici ? Je ne veux pas qu’on me laisse seul au milieu de cette mare d’été. J’aimerais fumer, mais j’ai oublié mes cigarettes, une heure et quelque que je contemple l’horizon, le soleil est un peu plus bas maintenant, il est 16 ou 17 heures, j’aurais un coup de soleil sur mes épaules. J’ai des crampes aux joues, à force de plisser les yeux, je pense à chausser mes lunettes de soleil, enfin, et la peau de mon visage se détend, fini la crispation, il s’agit de retourner à ses pensées. La mer bouge sans cesse dans un étrange immobilisme : une voile au loin, à moins que ce ne soit une mouette ; un gabian comme dirait mon père. Je suis mal installé sur ces galets, mais pour ce que ça change. Maintenant les épaules sèches je me rhabille, lentement d’un t-shirt blanc éclatant, avec l’envie de me baigner à nouveau. Je passe ma main dans mes cheveux, collés à cause du sel. Un autre catamaran file sur cette mer qui semble lointaine malgré la proximité de celle-ci : il suffit de se tendre, de laisser les vagues faire le reste. Je repense aux jolis yeux de Louise, à son joli sourire. Ce soir je guetterai sans doute à ma fenêtre, pour voir si elle se déshabille toujours à la même heure. Je souris de ma bêtise de gosse. Il faudrait penser à remonter, une croute se forme déjà sur mon tibia.
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Parler littérature avec J., parler de l'avenir avec M. songer à rêver, rentrer et écrire. L'été torride.