L'été chronique

16 décembre 2012 // 20:34

http://windychildhood.cowblog.fr/images/cheminees.jpg Le cabanon sent le vieux, le sans doute et le peut-être de ces après-midi d’été rythmés par les cigales où l’on attend quatre heures pour enfin mettre la tête sous l’eau et sentir le grand frisson. Et quand elle pose les clefs sur la table unique de la pièce à vivre, je me sens chez moi. Je vois les cabanes que je faisais sous la table sous l’œil presque émerveillé de mon grand-père. Qu’est-ce que cela fait de retrouver son enfance ? Elle se tourne vers moi et elle me parle mais je suis loin, une époque immense qui a le même dos rond que la couche de poussière sur les bâches qui recouvrent un canapé timide et crevé et un bahut sympathique qui semble sourire dans cette lumière voilée par les persiennes. Elle sourit de mon sourire et cette odeur de renfermé sent très bon. Les volets sont ouverts, et au loin on distingue la mer, la rade de Carro et quelques cheminées d’usine rouges et blanches qui se dessinent à l’horizon ; précisément quatre. Quatre poteau qui brusquent l’horizon bien trop bleu, bien trop limpide, quatre tours devant l’arc-en-ciel timide d’une vie tranquille et pourtant réelle. Et autour il y a le vent bien réel qui agite déjà les rideaux et chasse la poussière comme la vie est brutale tout à coup. Derrière, il y a des usines et le retour de la civilisation. Mais jusque là, hormis ce rappel, il ne reste que le paysage ramassé de l’érosion, du grand vent, du large et du varech en décomposition sur les criques formées par la force des choses.
Jusque-là il a fallu prendre le train de la côte bleue, s’émerveiller devant chaque arrêt et sentir au plus profond du ventre qu’il était temps de lâcher les quelques amarres qui étaient des poids au fond de mon ventre. Il a fallu marcher un moment avec ces sacs lourds sur le dos, laisser la sueur sur le front car cela ne sert à rien de l’éponger. On s’est perdu dans un désert superbe de maisons aux volets fermées aux boites-aux-lettres cabossées et aux fenêtres fatiguées par le grand air. Il fait chaud et homogène, et le sac sur le sol est un témoin muet qu’ici on peut se sentir bien. Je regarde les photos aux murs et elles sont vieilles. Les années doivent être distordues dans cet endroit au fin fond de la vie. Un peu comme encerclé par des montagnes qui gâchent l’horizon et le rend profond tout de même. On doit y grandir droit, vif et vite ici. On doit y grandir sans s’en rendre compte.
Elle pose le sachet de course sur la table, le sac par terre. « Tu viens, on va se baigner ». Je hoche la tête, et me change dans la salle de bain minuscule comme cette baraque qui semble inépuisable. Mes pieds nus une fois sur la presque plage sont comme agressés par les galets rudes et naturels, par les rocailles bien trop affutés par une vie terrestre imaginable. Le vent est là qui pousse dans tous les sens, qui pousse à renoncer sans doute, mais je ne bouge pas pourtant, je suis bien trop droit par rapport à cette marée, cette marée d’émotion. Parce qu’ici la mer reste immobile, la mer ne va pas en revenant chargées d’histoires en coquillage. La mer est un état de fait permanent avec lequel on vie ou non. Mais on n’a pas le choix. Et ça me fait peur cette constance que je vois débouler dans les yeux de mon père ces soirs où il regardait la montagne, j’étais gosse et je la sentais, cette nostalgie de l’immuable qui transpirait dans ces mots que personne ne comprenait chez moi ; ces expressions dont il était fier, celles de sa grand-mère aux yeux bleus très bleus que je n’ai jamais connu. Et qu’est-ce qu’une maison, un sentiment d’appartenance, lorsque la porte de l’errance a une limite bien trop précise, une crête blanche et mousseuse mais perpétuelle ? J’enfile finalement mes chaussures avachies qui un jour furent bleu marine. Elle se moque de moi mais ça n’a pas d’importance.
Elle prend ma main, et lorsque je la regarde, elle sent ma tristesse. Elle serre plus fort ses doigts autour des miens, de mes mains. Et j’ai mal au pied malgré les semelles, mal au cœur à cause de cet odeur de sel tellement forte, qui monte à la gorge et dans les yeux, et le varech en décomposition qui est maintenant blanchâtre. Je n’ai pas encore les pieds dans l’eau mais le vent est là et quand je respire fort, je la vois et ça va mieux, je crois.
« On reste ici ? où on y va ? »
Sa voix douce et apaisante me fait me rendre compte que rien de ce à quoi je pense n’a d’importance et quand on marche dans cette eau qui est froide à cause de ce vent incessant, je crois être dans un rêve. Et l’eau est transparente, on se croirait presque dans un miroir, un truc qui fait peur mine de rien, mais rassure. Je souris maintenant et on crie de plaisir en s’arrosant comme on peut.
 
Quand je mets la tête sous l’eau, j’ouvre les yeux et je ne vois rien. Le sel démange, mais j’aime, je plonge profondément. Et les pieds pèsent des tonnes et je me demande l’effet que ça ferait si je ne remontais pas. Cela ferait du bruit dans ce silence de profondeur, ce silence sourd qui bat aux tempes. J’effleure les algues et la roche de ce puits sans fond. Les poissons ont dû fuir, effrayés par ma masse. Sans doute les poissons me regardent de leurs abris, mêlés de craintes et de curiosité. Je n’ai jamais était un poisson dans l’eau, je n’ai jamais ressenti l’aisance.

Lorsque je sors la tête,
 
Les bruits sont visibles dans le ciel bleu uniforme mais déprimant qui est transpercé du soleil brûlant de cet été conquérant. J’ai peur de cette tapisserie monochrome et intransigeante, peur de me faire avaler par ce sud qui n’est pas si lisse pourtant, cette étrangeté qui est étrangement moi. Je repense aux yeux de mon père, et de ces jours gris. Et Je me souviens de cette photo dans le salon où il y avait ces quatre cheminées rouges et blanches face à l’inadmissible de saisons froides chez moi et qui bavent sur son rythme naturel d’homme habitué à la chaleur. Ces tours laconiques représentent peut-être beaucoup lorsqu’il regardait, droit comme on ne fait pas, cet horizon proche, heurté par une ligne bien plus haute que lui. Il devait rêver de ce ciel sans fin. 
Un jour m’a mère lui avait demandé ce qu’il comptait faire de cette photo qui trônait au milieu du salon, au-dessus de la télé comme certains auraient pu placer une croix. C’était le début de la fin, comme si un jour la fin avait commencée. Elle n’aimait pas cette photo, elle ne l’a jamais aimé. Et lorsque mon père est partie, il l’a laissée là. Le jour d’après elle avait disparue dans une poubelle. Ce jour-là, où elle l’a regardé et qu’elle a commencé la fin, il avait soupiré, demandé si elle ne comptait pas la jetée, cette photo. Elle avait haussé les épaules, il avait dit que c’était hors de questions. Ensuite j’étais parti me réfugier dehors et lorsque dix minutes plus tard mon père s’était assis sur la terrasse à côté de moi, il m’avait demandé :
« Elle te plait, à toi cette photo ? »
Je n’avais rien répondu je crois, et on était resté un moment à constater que les montagnes ne bougeaient pas et c’est au bout d’un long moment fasciné qu’il avait parlé pour la première fois de Marseille en vrai. Qu’il m’avait demandé si je viendrais le voir, si jamais il redescendait dans le sud. Il parait qu’il avait une offre intéressante là-bas qui l’attendait. Mais j’avais compris que c’était autre chose alors j’avais commencé à pleurer. Il a posé sa main dans mes cheveux. Je crois qu’il était triste, j’en suis sûr même. Puis je me suis réfugié dans ma chambre. Nous n’avons plus parlé de tout ça jusqu’à son départ, un an ou peut-être un an et demi après. Mais sur le pas de la porte je lui ai promis que je viendrai passer l’été dans le Sud.
 
Les vagues me bercent alors que sur le dos je joue au noyé. J’aimerais vivre vite. C’est ce qui transpire de mes yeux comme ces larmes, comme cette mer qui coule de mes iris les nuits vides et pales. Les nuits bleues ciel monochrome. A chaque fois que ma mère me regarde comme si j’étais mon père, et surtout depuis qu’elle m’a laissée atterrée par mon culot sur le quai de cette gare, il y a trois semaines déjà. Je repense à ces quelques mois déjà, depuis la séparation et mes stylos imaginaires qui noircissent toutes ces pages tout autant virtuelles depuis. Ai-je une assise ? Est-ce que ce ciel est réel ? Peut-être pourrais-je y écrire mon désarroi pour que tout le monde le lise pour qu’enfin je puisse respirer, m’enlever les mots de la bouche, et être ce superbe anonyme. Être porte drapeau et porté par des gens se regardant en se reconnaissant dans le regard des autres. Ce serait la vie, la vraie, ce serait… au milieu de cet égocentrisme démesuré il y a le corps de Louise qui sort de l’eau comme un fil continu jusqu’à la plage et sa serviette, je devrais sans doute la rejoindre.
 
Lorsque je sors la tête de l’eau, après une poussée décisive de mes pieds sur le sol. Parce que je n’ai plus d’air mais que je veux vivre je crois. Il y a des musiques qui éclosent dans ma tête, et sans doute je fais trop de bulle pour que les poissons viennent se nourrir de ma présence. Je me résous à cette idée que je ne mourrai pas aujourd’hui, ni demain. Mais j’éclate en plein vol et le rire n’est pas loin, juste masqué par la respiration haletante. Elle me regarde, et je lui souris comme je peux, et je crois qu’elle a eu peur que je ne revienne pas. Alors elle tourne la tête ; s’enfonce dans un autre-part qui n’est pas atteignable à la surface de l’eau. Peut-être sait-elle que je suis inconstant comme ma dégaine semble lui dire, ça lui fait mal, sans doute. « t’es con ». Ce sont les seuls mots qu’elle trouve à dire alors.
 
Lorsque je m’étale sur la serviette, je regarde le soleil qui me regarde, je me sens bruler.
« Pardon.
- T’as pas à t’excuser, c’était juste con. »
Elle m’en veut peut-être, elle regarde au loin un moment, puis elle s’approche de moi et je mets mes bras autour de ses épaules, et elle se blottit contre moi, et elle me regarde, je crois que je suis heureux, alors je ris bêtement. J’essaie de faire comme dans tous ces films où tout coule de source mais je suis très maladroit. Ma peau trop blanche, si peu habituée aux canicules et aux feux de garrigue. J’aimerais exprimer tout ça, alors je me contente de la regarder. Et le vent souffle et la terre vibre, le sol poussiéreux de la Provence s’exprime ainsi. Les odeurs sont lourdes, bien trop prononcées, presque vulgaires. Elles sont rampantes comme ces accents et ces langues qui se lient, délient, dans d’incessantes joutes verbales ici. Parce qu’ici tout semble une bataille. Mes pieds, j’aurais pu les écorcher comme elle histoire de sentir la vie confluer en moi et je comprends mieux son regard ironique lorsque j’ai renfilé mes chaussures. Je ramasse des bouts de verres polis, souvenirs de bitures pittoresques à la Heineken pas fraîche. Il doit y avoir les fossiles d’un feu de camp, peut-être celui de l’adolescence de mon père, peut-être celle de mon grand-père paternel qui passait ses étés à camper ici avec sa famille, que je n’ai pas connu non plus. Je cherche, et en fouillant, je ne trouve que quelques mégots et l’assurance qu’ici il n’y a que de la roche qui pousse ; c’est une terre ingrate.
« T’es pas le seul à souffrir, tu sais ? Et c’est pas en restant muet et tétanisé dans tout ça que ça va changer.
- Je sais…
- Alors, pourquoi tu parles pas ? Pourquoi t’es là alors que tout va bien à essayer de te noyer juste pour voir ce que ça fait ? Personne n’est mort à ce que je sache, t’es juste là pour un été, et bien sûr que tu te poses des questions, on en a tous des questions. Arrête de déprimer, tu me fatigues. »
Je baisse les yeux, elle a sans doute raison. Personne n’est mort, juste l’amour… Les malheureux vont encore dire que c’est de ma faute s’ils sont tristes – je me souviens de cette phrase soudain et je sais qu’elle a raison. 
Puis l’eau sur mon dos sèche vite, et ma peau brûle. Crevasses imaginaires sur mes épaules qui veulent être adultes mais qui dramatisent bien trop pour cela. Mon cœur bat plus vite. Je ne me sens pas harmonieux, je me réfugie dans l’eau à nouveau et je regarde ce soleil qui me regarde ; comme si j’allais pousser moi la sale plante qui traine telle une larve. Je suis fait pour ces sols ingrats et sans eau. Même si j’ai les dents blanches. En sortant je lui dis qu’elle a raison que j’allais arrêter cette gueule d’enterrement.
 
Lorsqu’elle m’embrasse j’ai cette confusion entre le sel de ses lèvres et le nouveau goût de la salive, sucré dans cette saturation assoiffante. On rigole puisqu’il ne reste rien d’autre à faire, et le bruit des vagues est une perpétuelle interrogation. Je cherche des mondes à explorer, et je l’embrasse, et mes doigts parcourent les roches sur lesquelles on s’assoit, et mes doigts parcourent son corps. J’ai peur de l’érosion comme de bien des choses. L’érosion des sentiments, de sa peau, des sentiments.
 
Sur le chemin du retour, mes chaussures détrempées font un bruit de sucions désagréable, et la terre les a rendues boueuses. Mon maillot bleu nuit est sec mais persiste les marques blanches du sel dessus. La peau de mon dos tire, j’ai mis ce t-shirt sur mes épaules même si c’était désagréable. Irritation de la gorge à force de trop parler, de trop rêver, coups de soleil ; le soleil lui descend près de la mer sans se presser. On titube, se débrouille comme l’on peut ; saoulés de soleil et des bruits lancinants de la répétition. Mon cœur bat ça je le sais. Et le plus agréable est de se rincer au jet d’eau dans la cour de derrière ensuite, et enlever tout ce sel qui fera des cloques sur ma peau et mon cœur si je ne fais rien. Je ne la quitte jamais des yeux et elle me défie du regard, elle me défie de dire quoique ce soit. Je ne souris que bêtement dès lors. On l’appelle et la sonnerie du téléphone casse cette harmonie solide, moi je reste, seul, dans ce jardin aux herbes brûlées. Au fond de mon ventre j’ai violemment envie de l’embrasser, envie d’elle. Et cette sonnerie au milieu de nulle part me ramène à mes 17 ans, mes peurs de gosse et mes fantasmes d’ado. Je voudrais l’allonger sur le grand lit aux draps blancs dans la chambre minuscule.
 
Mais pour le moment ma peau est rouge et elle raccroche me regarde alors que je la dévisage : 
« Quoi ?
- Rien, t’es belle »
Elle sourit flattée puis tourne la tête, elle rentre, me laissant seul à nouveau. Elle a peut-être l’air triste. Je n’ose pas demander qui c’était, mais j’aimerais savoir tout de même.
 

Commentaires

Can I kick it ?

Par Manonbrouillon le 20 décembre 2012 // 2:25
Ce texte est une merveille.
 

Can I kick it ?









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